La résistance au changement, un mal français ?
- Kiss The Bride
- 22 juin 2016
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A l’heure de la transformation digitale, il semblerait que certains pays soient mieux disposés que d’autres à aborder cette transition. Pour Emmanuel Vivier, cofondateur du Hub Institute, la France ne fait malheureusement pas partie des pays les plus dynamiques, loin de là !
Comment les entreprises appréhendent-elles le changement digital en France ?
Emmanuel Vivier. Le succès des GAFA et autres Netflix, Spotify, a prouvé à tous que le digital ne se cantonnait pas à une problématique marketing, et que de nouveaux acteurs pouvaient du jour au lendemain menacer des entreprises bien installées. Face à cela, nous avons en France environ un quart des grandes entreprises qui ont entamé une transformation profonde de leur business. Orange, AXA, Accor, La Poste ou L’Oréal sont autant d’exemples. Il y a eu de vraies prises de conscience au niveau de leurs directions, qui ont amenées à une réinvention de leur métier. Les groupes familiaux sont aussi volontaires sur ces sujets. Contrairement aux groupes soumis au diktat de la bourse et du court terme, ils n’hésitent pas à investir dans le futur. A côté de ces précurseurs, beaucoup se contentent encore de faire de l’emballage, annonçant à grand renfort de communication un hackathon ici, une application là.
La réalité, c’est que la majorité des entreprises craignent de s’attaquer sérieusement à leur transformation. Les grandes structures sont sclérosées, les managers eux-mêmes refusent de prendre le moindre risque et de s’exposer dans un contexte morose où la priorité reste de maintenir les chiffres. Cette inertie face au changement peut s’avérer suicidaire. Une marque comme Kodak en a fait les frais.
Comment expliquer une telle résistance ?
E.V. Le problème, c’est que trop de dirigeants envisagent le monde digital avec les codes et la culture d’hier. Pour caricaturer le propos, ce serait comme de présenter un nouveau né à son patron et s’entendre rétorquer : « Il ne sait pas marcher, ni parler, ni lire. On ne pourra rien en faire ! » Face à des dirigeants qui attendent un retour sur investissement immédiat et une vision claire, la transformation répond par l’agilité, l’itération et le changement de cap si c’est nécessaire… L’écart est important mais pourtant, cette transformation s’avère autant indispensable qu’elle demande du temps et des efforts pour faire ses preuves.
Quelles sont les particularités de la France sur ces sujets ?
E.V. En France, on a la chance d’avoir tous les bons ingrédients : de bons créatifs, de bons designers, de bons ingénieurs, de bons entrepreneurs. Le problème, c’est que notre système reste beaucoup trop compliqué d’un point de vue administratif et fiscal, mais aussi culturellement. Depuis la fin des années 1990, le web fait partie du paysage économique, et quelle que soit leur couleur politique, nous avons été gouvernés par des dirigeants d’un
autre temps. Ni connectés au monde de l’entreprise, ni connectés à l’international, ni connectés au digital… il y a un réel fossé entre eux et les entrepreneurs digitaux, qui malheureusement préfèrent s’expatrier aux États-Unis où ils trouvent un environnement favorable à l’épanouissement de leur activité.
Quand je vois que la France a été capable d’accompagner des projets aussi ambitieux que le nucléaire, le TGV, Airbus, Arianespace… cela me désole qu’on ne le fasse pas aussi avec le numérique. La French Tech pourrait être une bonne initiative mais elle est encore trop souvent cantonnée à un rôle de vitrine des projets français, là où nous aurions besoin d’un véritable plan Marshall du digital. En termes de mentalités, nous baignons en France dans un climat gris, empêtrés dans une crise qui n’en finit pas. A l’inverse, il y a dans la Silicon Valley, en Asie du sud est ou en Chine une vraie dynamique de croissance, une émulation très porteuse.
Aux États-Unis, c’est la culture du “test & learn”, en France c’est encore “wait & see”.
Quelles tendances observez-vous en ce moment à l’étranger ?
E.V. Il y a quelque chose d’assez récent, et qui va réellement impacter le monde économique ces prochains mois et ces prochaines années : les start-ups les plus prometteuses comme Airbnb et Uber ont tellement grandi qu’elles rivalisent désormais avec les grands groupes. Les investisseurs n’hésitent plus à leur confier des centaines de millions de dollars, voire des milliards, et elles disposent désormais de moyens colossaux.
C’est un vrai changement : ces start-ups devenues licornes rêvent de révolutionner leurs marchés et ont désormais les moyens de leurs ambitions. Elles vont pouvoir accélérer leur développement tout en restant agiles, tout en gardant une longueur d’avance en matière de technologies et de parcours clients.
L’investisseur Dave McClure illustre bien cela. Il prend le contre-pied d’un discours ambiant qui veut que les licornes soient sur-évaluées et prouve, chiffres à l’appui, que ce sont finalement les grandes entreprises traditionnelles qui sont surévaluées et qui disparaîtront dans la prochaine décennie si elles n’opèrent pas leur transformation digitale.
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