[Interview] On interroge le Crédit Mutuel Arkéa et Leetchi
- Dounia Issaa
- 4 novembre 2016
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Depuis plusieurs mois, nous assistons à de nombreux rapprochements entre grands groupes et startups. Programmes d’accélération, lancements d’incubateurs ou de fab labs… les initiatives se multiplient, favorisant les partenariats et alliances. Stabilité et soutien financier d’un côté, agilité et réactivité de l’autre, nous pourrions presque nous demander qui de l’autre est le plus apprenant ? Et surtout qui y perd dans cette histoire ? Les startups qui se retrouvent soudainement embrigadées dans les process et la lourdeur d’un grand groupe ? Ou alors les entreprises qui à force de vouloir innover à tout prix perdent leur culture et finalement leur âme ?
Pour tenter de répondre à ces questions, nous avons interrogé Ronan Le Moal, CEO de Crédit Mutuel Arkéa, et Céline Lazorthes, fondatrice et CEO de Leetchi Group au sein de la FinTech Leetchi (startup pionnière et leader de la cagnotte en ligne ainsi qu’éditeur de l’API de paiement MANGOPAY à destination des acteurs de l’économie collaborative).
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Céline Lazorthes (Leetchi) : Avec le Crédit Mutuel Arkéa, nous nous connaissons depuis longtemps. Avant de finaliser notre rapprochement en septembre 2015, cela faisait déjà 6 ans que nous collaborions ensemble. Le Crédit Mutuel Arkéa est notre partenaire bancaire historique et nous travaillons également depuis plusieurs années avec Monext (Payline), la filiale du groupe spécialisée dans les solutions de paiement en ligne.
Ronan Le Moal (Crédit Mutuel) : Au Crédit Mutuel Arkéa, nous avons une ligne de conduite : prendre le temps de rencontrer les entrepreneurs qui veulent changer le monde. C’est ainsi que j’ai rencontré Céline Lazorthes. Nous cherchons en permanence à tisser avec ces jeunes entrepreneurs de vrais liens de proximité. Pour bien les épauler, nous avons besoin de les connaître, et de détecter leurs motivations, leur niveau d’implication. L’examen d’un dossier, avec un beau business-plan, ne suffit pas ! Un bon « pitch » non plus. Nous sommes ainsi très présents aux grands rendez-vous organisés à destination des startups qu’il s’agisse de forums, de conférences ou de concours. Notre partenariat historique avec France Digitale, l’association de référence des entrepreneurs du numérique, en est une illustration concrète.
Pourquoi choisir l’accompagnement d’un grand groupe / d’une startup ?
C.L. : L’aventure Leetchi est faite de belles rencontres et de choix judicieux quant aux partenaires qui nous accompagnent. La proposition de rachat du Crédit Mutuel Arkéa en septembre 2015 s’inscrit dans ce cadre. Le groupe nous a semblé être le meilleur partenaire pour accélérer notre développement. En effet, grâce à notre rapprochement, il y a d’évidentes synergies commerciales, marketing et surtout au niveau de l’ingénierie bancaire et financière que seul un acteur industriel pouvait nous apporter. Par ailleurs, les 10 millions d’euros apportés par le Crédit Mutuel Arkéa nous permettent d’accélérer notre présence à l’international. Cela passe notamment par le lancement de Leetchi.com au Royaume-Uni ce mois-ci ! Pour finir, être adossé à une banque nous a permis de gagner en crédibilité et de pouvoir nouer des partenariats stratégiques avec des acteurs Européens de premiers plans comme Rue du commerce dernièrement.
R.L.M. : Les actionnaires de Leetchi avaient, je pense, envie d’une autre histoire, plus industrielle. Beaucoup d’entrepreneurs de l’économique numérique souhaitent voir leur aventure continuer à grandir. Il est du devoir des entreprises françaises, comme le Crédit Mutuel Arkéa, de faire office d’investisseurs stratégiques et de les aider à rester sur le territoire français et à accompagner leur développement. Par ailleurs, nous sommes à la recherche de relais de croissance. Leetchi nous a ainsi ouvert les portes des places de marché qui nécessitent des technologies de paiement différentes et l’agrément de la monnaie électronique. Leetchi et MANGOPAY, sa solution de paiement BtoB, détenaient une longueur d’avance sur notre propre technologie.
Avez-vous le sentiment d’avoir perdu votre indépendance, votre autonomie ?
C.L. : De petits changements se sont forcément opérés mais notre état d’esprit d’entrepreneur, l’ADN et le fonctionnement de Leetchi sont restés les mêmes. Je suis toujours à la tête du groupe, l’équipe de management a été maintenue et nous avons gardé la main sur la stratégie. Dès le départ, tout en nous assurant que nos deux marques perdureraient dans le temps, nous avions la volonté de rester autonomes et indépendants. C’était une chose très importante à nos yeux et c’est ce qui nous a notamment séduit dans la proposition du Crédit Mutuel Arkéa. Nous avons accès à la force du groupe, mais la plus grande latitude nous est laissée pour gérer notre développement.
R.L.M. : Diluer la personnalité de Leetchi dans le Crédit Mutuel Arkéa aurait été un non-sens absolu. Nous préférons capitaliser sur sa différence et miser au final sur notre complémentarité.
Quelles sont les principales divergences entre un grand groupe et une startup ?
C.L. : Il est évident que la culture et la flexibilité d’une startup ne sont pas comparables à celle d’un groupe de 9 000 salariés tel que le Crédit Mutuel Arkéa. Notre agilité s’oppose à des process plus lourds de grands groupes et nous avons d’avantage le goût du risque ! Dans les faits, cela se traduit par des cycles d’optimisations rapides de nos produits afin de proposer constamment les meilleures fonctionnalités. En parallèle, nous travaillons en mode projet sur certains sujets prioritaires nécessitant d’avancer très rapidement. Ceci nous permet de compter en semaine, ce qui dans un grand groupe se compterait en mois.
Comment parvenir à concilier ces deux logiques/cultures ?
C.L. : Tout dépend du contexte du rachat et de l’ADN de chacun. Je pense que notre exemple est intéressant car il permet de bénéficier à la fois des atouts de l’autre tout en étant conscient de nos différences. Nous veillons à ne jamais forcer les choses. C’est pourquoi, par exemple, nous avons gardé notre indépendance géographique et décisionnelle et que nous conservons chacun notre manière de fonctionner. Ce n’est pas pour autant que nous ne travaillons pas ensemble. En effet, à plusieurs niveaux dans l’entreprise, nous sommes en contact avec nos homologues du Crédit Mutuel Arkéa afin de faire avancer les sujets stratégiques.
R.L.M. : Ce qui fait la véritable valeur d’une startup, c’est son agilité, sa créativité, sa capacité à pivoter rapidement, c’est-à-dire à changer de “business model”. Ce sont autant de qualités que nous devons nous efforcer de générer au sein de nos propres équipes tout en nous appuyant sur nos valeurs anciennes : l’ancrage territorial et la proximité client.
Faut-il nécessairement insuffler l’esprit startup dans les grands groupes ?
R.L.M. : La valeur ajoutée d’une startup relève autant de la technologie que de l’état d’esprit. Une startup peut fournir une brique technologique pour enrichir notre offre de produits et de services bancaires. C’est le cas, par exemple, de MANGOPAY, la solution de paiement BtoB de Leetchi conçue pour les places de marché. Elle peut aussi apporter des innovations sur les usages et l’expérience, des clients ainsi qu’un regard neuf sur les modèles économiques actuels et les méthodes de travail. Collaborer avec une startup impulse une dynamique positive qui est sensible à tous les échelons.
Les grands groupes peuvent-ils innover sans startup ?
R.L.M. : La bonne idée peut surgir de partout ! Nos laboratoires internes ont déjà fait la démonstration de leur savoir-faire et de leur capacité à innover dans l’univers de la banque et de l’assurance. Dans un environnement concurrentiel et en constante transformation comme le nôtre, il faut également privilégier l’innovation ouverte pour identifier les nouvelles tendances qui bouleverseront demain les usages et les modes de relation avec la clientèle. L’open innovation démultiplie le champ de nos réflexions, celui de nos possibilités et accélère le « time to market ».
Lequel d’entre vous est le plus apprenant ?
C.L. : Dans ce mariage, chacun de nous apporte quelque chose d’intéressant et doit s’adapter à l’autre:. Le Crédit Mutuel Arkéa ne nous permet pas seulement d’accélérer notre développement mais nous fait également bénéficier de son expertise en tant que partenaire industriel. Notre souhait est de faire de ce rapprochement un succès et un exemple à suivre mais aussi et surtout de faire rayonner les couleurs du groupe Leetchi en France et au-delà, l’aventure continue.
R.L.M. : Le partage d’expériences et de savoir-faire avec une startup comme Leetchi crée une belle et saine émulation. Leetchi constitue un formidable levier d’accélération et de complémentarité. Une startup, c’est un bol d’air frais d’innovation et d’agilité à l’intérieur de notre groupe. Tant pour faire émerger les services bancaires de demain que pour revoir nos modes d’organisation ou la conduite de projets… En retour, nous lui apportons notre expertise bancaire et des ressources pour poursuivre son développement.
Et vous, quel est votre avis ? Pensez-vous que cette collaboration est nécessaire pour innover à l’heure du digital et s’armer face aux GAFA ? Et quelles doivent être les modalités de cette collaboration ?
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