[INTERVIEW] Rencontre avec Fabien Versavau : « Le digital redonne le pouvoir aux magasins physiques »
- Kiss The Bride
- 12 décembre 2019
- 1.7k vues
- Environ 4 minutes de lecture
Commerce électronique et commerce physique ne doivent plus être perçus comme deux sphères distinctes, étanches et concurrentes. Même si entre les générations de consommateurs, les pratiques peuvent varier d’une dimension à l’autre, les magasins de centre-ville et de zones urbaines ont tout à gagner en s’interconnectant avec des plateformes numériques.
Dans le cadre de notre dernier magazine « Data et Emotion » dédié au Retail, nous avons interviewé Fabien Versavau, PDG de la division française de la plateforme d’e-commerce mondiale Rakuten. Il nous donne son avis sur le sujet.
QUELS ENJEUX ET TENDANCES FORTES, LES ENSEIGNES DOIVENT-ELLES INTÉGRER POUR BOOSTER LA FRÉQUENTATION DES CLIENTS TOUJOURS PLUS CONNECTÉS ?
FABIEN VERSAVAU : On ne peut pas nier que certaines perceptions tenaces ont longtemps opposé le commerce physique au commerce électronique.
La désertification progressive de certains centres-villes où les boutiques ferment les unes après les autres a largement contribué à nourrir ce sentiment. Particulièrement chez les commerçants eux-mêmes qui ont pris de plein fouet la digitalisation du commerce et ont eu de fait à affronter des difficultés économiques importantes.
Avec le concours de l’institut Harris Interactive, nous avons d’ailleurs réalisé une étude destinée à mieux comprendre le regard et les attentes que les Français ont des commerces de centre -ville, des difficultés qu’ils rencontrent et des solutions qui leur paraissent les meilleures pour les résoudre.
Les enseignements sont extrêmement riches et s’affranchissent de cette logique d’opposition entre physique et digital. Les magasins du centre-ville ne sont pas jugés « has been » par les Français. Au contraire, ils sont plutôt laudateurs à leur égard en estimant qu’ils sont de bon conseil et qu’ils proposent des produits de qualité malgré leur prix perçu élevé.
L’attachement est bien concret. 93 % pensent que leur présence au cœur des villes est importante (dont 57 % « très »). Leur maintien constitue même la deuxième priorité assignée aux pouvoirs publics locaux (89 %), derrière la protection de l’environnement (93 %), mais devant la sécurité (88 %), la propreté (86 %) et les impôts locaux (85 %). Plus que le digital, ce sont surtout les enjeux d’accessibilité et de stationnement qui constituent des freins aux yeux des consommateurs interrogés.
Néanmoins, on peut relever des disparités générationnelles dans l’attachement aux commerces de centre-ville selon que l’on considère les jeunes générations ou leurs aînés. Quand les seconds sont leurs clients, les premiers sont plus aléatoires dans leur recours à ces commerces. Mais la bonne nouvelle de l’étude est qu’ils ne sont pas réfractaires aux boutiques. Ils ont simplement des logiques de consommation différentes où le canal digital est au coeur de leur quotidien. D’ailleurs, si je me réfère à une autre étude LSA/HiPay, 71 % de nos compatriotes estiment que l’harmonisation entre online et offline est une priorité.
QUELS BÉNÉFICES MAJEURS LES ENSEIGNES PHYSIQUES PEUVENT-ELLES ESPÉRER D’UNE STRATÉGIE OMNICANALE ? ET PEUT-ON eNCORE PARLER DE cANNIBALISATION DU DIGITAL SUR L’EXPÉRIENCE EN MAGASIN ?
FV : Aujourd’hui, on pense de moins en moins selon le schéma dichotomique « online/offline » mais plutôt dans un schéma qui réunit les deux. Le phygital est dorénavant la nouvelle ère du magasin. Il s’agit pour les marques et les enseignes de faciliter l’achat et accompagner le client tout au long du parcours qui s’est complexifié entre ses incursions en boutique et sa connectivité quasi permanente depuis son ordinateur ou son smartphone. Le point de vente physique doit donc se réinventer pour proposer une expérience omnicanale la plus fluide et efficace possible mais aussi être en mesure de collecter et croiser finement les données client afin de personnaliser l’offre.
Nous nous inscrivons résolument dans une logique d’empowerment des enseignes et des marques grâce à notre plateforme e-commerce. Elle vient ainsi renforcer et étoffer la stratégie d’acquisition, de transformation et de fidélisation des vendeurs professionnels en ligne et en magasin. Autrement dit, nous créons du trafic supplémentaire issu du Web et drainé vers les boutiques des enseignes avec lesquelles nous sommes partenaires. Cette hausse de trafic en magasin aide de surcroît à lutter contre la désertification des centres-villes.
C’est par exemple dans cette optique que nous proposons notre solution du Click & Collect. Depuis notre plateforme e-commerce, un internaute peut acheter des produits d’une enseigne, vérifier sa disponibilité dans le
magasin le plus proche de lui géographiquement et le retirer deux heures plus tard. Autre point notable pour le magasin physique : cet apport de flux de clientèle expose l’enseigne à de nouvelles communautés qui ne seraient pas forcément venues ou qui sont moins spontanément enclines à se rendre sur place. Là, le magasin peut faire découvrir son univers et miser sur une augmentation des ventes additionnelles grâce aux conseils des vendeurs.
C’est donc une opportunité de fidéliser de nouveaux acheteurs. Le digital devient un véritable levier de croissance pour le monde physique. La Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad) constate que 80 % des e-commerçants voient un impact du site sur le magasin.
Avec Boulanger, l’enseigne française spécialisée dans le loisir, le multimédia et l’électroménager, nous avons établi un partenariat commercial depuis plus d’un an via notre offre Click & Collect.
L’objectif de ce dispositif qui combine digital et physique est de susciter des ventes additionnelles dans les boutiques de notre partenaire. En passant sa commande depuis le corner dédié de l’enseigne sur la plateforme, le consommateur sélectionne le magasin le plus proche de sa localisation puis, une fois la commande finalisée, récupère son achat en seulement quelques heures. Cette solution encourage le trafic en magasin tout en étant un réel modèle « gagnant-gagnant » puisque la présence du client sur le lieu de vente est génératrice de réachat. De plus, lors de périodes cruciales pour les ventes comme Noël, ce dispositif est un bon levier pour vendre jusqu’aux toutes dernières heures.
DES ÉTUDES ONT MIS EN ÉVIDENCE CERTAINS CRITÈRES ESSENTIELS À REMPLIR POUR OPTIMISER L’EXPÉRIENCE DU CLIENT COMME PAR EXEMPLE L’ATTENTE. QUELLE EST VOTRE ANALYSE ?
FV : J’évoquais précédemment l’importance l’expérience dans le parcours omnicanal consommateur. C’est en effet un point crucial. Plusieurs études nord-américaines ont mis en évidence que lors d’un retrait d’un produit en
mode Click & Collect, 70 % d’achats complémentaires étaient enregistrés en boutique si le temps d’attente pour réceptionner son achat est inférieur à 2 minutes. Ce taux chute en revanche nettement à 10 % lorsqu’il atteint les 10 minutes. Tout l’enjeu consiste donc à affiner au maximum ce temps d’attente pour que le client soit satisfait et ait envie de revenir par la suite dans la boutique.
A l’heure où tout doit aller très vite, Rakuten va améliorer le temps de récupération en magasin en détectant de manière prédictive l’arrivée des clients lorsqu’ils s’approchent de la destination. Nous avons conçu un algorithme à base d’intelligence artificielle, qui est déjà lancé aux États- Unis et bientôt en France en format tests . Il va ainsi permettre d’optimiser le Click & Collect en prédisant l’heure d’arrivée en magasin (avec un degré de fiabilité à 99 %) selon les comportements d’achat et en aidant les magasins à améliorer la préparation des commandes. C’est une autre illustration de l’apport du digital pour rendre plus performantes les boutiques.
QUELS SONT LES INCONTOURNABLES POUR LES ENSEIGNES COMMERCIALES, QU’IL S’AGISSE D’ALIMENTAIRE, DE BRICOLAGE, D’ART FLORAL OU ENCORE D’ARTICLES DE SPORT ?
FV: En préambule, il est nécessaire d’opérer un véritable changement culturel chez les acteurs du commerce physique. Avant même d’engager toute transformation digitale d’un point de vue technologique et opérationnel. Les enseignes doivent arrêter de penser à travers un prisme qui n’a plus lieu d’être où l’univers du digital est distinct de l’univers physique. L’un ne cannibalise pas l’autre et inversement. Au contraire, ils sont totalement complémentaires comme le prouve la solution du Click & Collect. De même, il n’existe pas des consommateurs uniquement cantonnés aux boutiques virtuelles et d’autres qui ne connaissent que les boutiques avec des murs. Ces deux s’interpénètrent et s’entremêlent.
Evidemment, selon les générations et les profils de consommation, on trouve des variables où un univers a tendance à primer un peu plus. Mais au final, l’idée est bien de réconcilier digital et physique pour que le consommateur y trouve un vrai bénéfice.
Depuis Boulanger qui a été la première enseigne en France à adopter notre solution de Click & Collect, une vingtaine d’autres enseignes ont également intégré ce levier comme la librairie Decitre, le marchand de vin Lavinia, le distributeur de jeux vidéo Micromania, les magasins de mode Brice et Jules ou encore les jouets PicWicToys. D’ici la fin de l’année 2019, il sera possible de récupérer son achat dans l’un des 2 600 points de vente concernés en France. C’est bien la preuve que le digital est aussi au service du point de vente physique.
>> Pour relire cet interview, découvrez notre troisième numéro « Data et Emotion ».
0 commentaire