Que reste-t-il de nos confinements ? Nouvelles habitudes de consommation post crise sanitaire
- Marie-Hélène Male
- 16 juin 2020
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Ok, nous avons retrouvé notre quasi-liberté de mouvement depuis 1 mois. Ok, les écoles et les restaurants sont (dans une certaine mesure) ouverts. Ok, la crise sanitaire semble s’apaiser… Pour autant, nous ne retrouvons pas notre vie d’avant. C’est l’heure des doutes et des prévisions économiques, des incertitudes et des prophéties, des envies de changement et des retours aux habitudes… A la lecture des tribunes parues, des avis d’experts, des études sur les opinions et les comportements des Français face à la crise, je m’interroge.
Le monde consumériste a-t-il réellement changé ? Le monde consumériste va-t-il réellement changer ?
Confinement : un déclencheur qui marque l’envol de tendances préexistantes ?
Les 8 semaines de confinement, impactant les vies personnelles et professionnelles, ont vu fortement évoluer le comportement d’achat des Français. Adaptations des comportements dans le quotidien, par des modifications dans leurs achats de nécessité, adaptations également dans leurs dépenses non essentielles, par l’arrêt ou report de certains achats et l’augmentation de l’épargne.
Une consommation réfléchie pour nombre de Français
Dans ce climat d’incertitude propre à la crise sanitaire, 31% des Français ont revu à la baisse leurs dépenses (1). Entre les fermetures des points de vente non essentiels et l’inquiétude des Français quant à l’impact à plus ou moins long terme sur leurs revenus, la Fédération du commerce et de la distribution évalue la perte d’activité pour les commerces en France entre 50 et 60 milliards d’euros. En mai 2020, 43% des français (1) ont déclaré avoir arrêté, ou reporté des achats qu’ils avaient pourtant prévu avant le confinement, en premier lieu voyages et vacances…
Hors alimentaire, les points de ventes physiques ont évidemment été lourdement impactés, les achats ne se reportant que partiellement sur leurs canaux digitaux, mais également les e-commerçants. Certes les Français ont davantage passé de temps devant leurs écrans pendant le confinement, mais ils n’ont pas pour autant réalisé beaucoup plus de dépenses… La Fevad relevait un recul des ventes pour 76% des sites à début avril. Tirent leurs épingles du jeu les sites alimentaires en première position.
Des achats concentrés sur la nécessité
Passé l’effet de stockage de la première semaine de confinement, la hausse des dépenses alimentaires et d’entretien s’est maintenue pendant toute la durée du confinement, consécutive au nombre de repas pris à la maison, pour toute la famille (+ 13% en valeur pour les PGC-PFT entre avril 2019 et avril 2020 (2)).
Confinement oblige, le temps passé devant les écrans et les dépenses liées au divertissement à la maison ont elles progressé : une nécessité quand notre liberté de mouvement s’est réduite, qui plus est sans jardin ou avec enfants (ou pire, les deux !)! Jeux vidéos, plateformes Netflix and co ont ainsi vu leurs nombres d’abonnés croître de façon exponentielle. 11 millions de joueurs dans le monde sur Animal Crossing, 350 millions pour Fortnite, avec des concerts live au sein de la plateforme qui ont réuni plus de 12 millions de joueurs : le gaming a rassemblé (3) !
Dans le panier des courses alimentaires, moins de produits préparés et plus de sain !
Les Français ont davantage dépensé en surgelé et épicerie : avantages de la longue conservation pour ce type de produits et achats d’ingrédients pour cuisiner à la maison, grande occupation des Français en confinement. Le segment bio poursuit sa croissance avec une progression de 26% de nouveaux clients. Les produits équitables sont aussi concernés par l’envie de consommer responsable et sain : 40% de progression dans les achats de cette catégorie (4).
La découverte de nouvelles marques, sous la contrainte
Contrainte liée au prix, facteur décisionnel préexistant à la crise sanitaire, et dont l’importance croit au fil des semaines de confinement. Passant de 33% des Français plus attentifs au prix qu’habituellement en début de confinement, la part grandit à 47% à fin avril (2). Reflet de la prise de conscience des Français que la pandémie impactera à long terme l’emploi et les entreprises, l’attention portée aux prix conforte un peu plus son caractère déterminant dans les décisions d’achat. En conséquence, les MDD ont vu leurs ventes progresser dans la période de confinement.
Contrainte liée aux points de vente fréquentés : quasi un quart des Français a changé de point de vente principal pour leurs achats de nécessité, privilégiant des surfaces moindres ou plus proches de leurs domiciles (1). Face aux assortiments différents de leur magasin habituel, et devant certaines ruptures de produits, les Français ont dû s’ouvrir à de nouvelles marques. 53% d’entres eux ont ainsi testé des marques habituellement non achetées, et 60% indiquent vouloir continuer à les choisir après la crise (5).
Des achats effectués en privilégiant proximité et digital
Déjà visible en mars, la très forte croissance des dépenses dans les magasins de proximité s’est confirmée en avril : +59% de dépenses par ce canal vs avril 2019 (2), au détriment des hypermarchés.
La période de confinement a surtout vu exploser les dépenses alimentaires online, avec un taux de croissance des dépenses de +83% en avril 2020 vs avril 2019 (2)! Le phénomène concerne en grande partie le recours au drive : acheter en ligne et récupérer ses courses en magasin, une nouvelle façon de faire ses courses pour 7% des « drivers » pendant la période (4).
La part du marché du e-commerce pour les biens de grande consommation a ainsi dépassé les 10% pendant le confinement, contre 6% en 2019 (6), et majoritairement réalisée sur ordinateur. Ce device repasse donc devant le mobile avec 67% des acheteurs online de produits de première nécessité qui l’ont privilégié (7).
Cette tendance aux achats alimentaires online ne concerne pas uniquement la grande distribution, qui a su rapidement augmenter sa capacité de commandes Drive pour faire face à la demande, mais également les cavistes, les bouchers, les traiteurs, les restaurateurs… qui ont su s’adapter avec de nouvelles propositions de distribution : commandes en ligne, livraisons et click and collect se sont multipliés, devant la forte attente des consommateurs.
En mixant proximité et digital, les Français ont montré leur soutien aux commerçants de proximité, tout en limitant autant que possible les interactions sociales. Soutien apporté également aux producteurs français, via la forte progression de l’approvisionnement en direct : de nombreux français se sont tournés vers les filières courtes, privilégiant le local et les produits frais. Les motivations de cet essor des drive fermiers sont multiples : inquiétude sanitaire vis-à-vis des visites en supers / hypers marchés, volonté d’une alimentation saine, patriotisme économique, engagement « social » vis-à-vis des agriculteurs…
Ce qui apparaît notable en termes de consommation pendant le confinement, ce n’est au final pas l’arrivée de nouvelles tendances d’achat, mais la prise d’ampleur de tendances préexistantes. Ces évolutions, observées sur la courte période de crise sanitaire aiguë, sont-elles des mutations appelées à perdurer, ou bien la tendance d’une consommation responsable, saine et digitalisée retrouvera-t-elle sa place, mineure, d’avant crise ?
Et une fois libérés, délivrés de nos nouvelles habitudes ?
L’intention déclarée par de nombreux Français au sortir du confinement semble prophétiser le maintien de ces nouveaux comportements. Bien que les chiffres varient selon les études, toutes mettent en lumière la volonté de changement dans sa consommation pour une large part des personnes interrogées.
L’affirmation d’une volonté de changement
- 74% déclarent vouloir modifier leur façon de consommer (8)
- 45% sont convaincus que leurs habitudes d’achat seront modifiées durablement (5)
Vers une consommation plus saine et durable
- La recherche d’une alimentation équilibrée se poursuit, pour une majorité de Français qui font leurs choix de produits en scrutant les qualités nutritionnelles (52%), l’origine (54%) ou encore la traçabilité (50%) (9)
- Il apparaît désormais nécessaire à 69% des Français de faire des choix de consommation plus responsables : locaux, bio, équitables, sans emballage etc. 80% déclarent qu’ils vont passer à l’acte ! (10)
- Selon Nielsen, 66% des Français déclarent vouloir être plus sélectifs dans leurs achats : l’envie d’une certaine frugalité dans sa consommation
Patriotisme économique
- 45% des Français font plus souvent le choix de produits d’origine France (9)
- 63% des français privilégient autant que possible les produits locaux pour soutenir l’économie, l’origine des fruits et légumes étant devenue le premier facteur de choix de ces produits. (9)
- 83% déclarent avoir l’intention de privilégier les enseignes françaises dans leurs achats Mode pour soutenir notre économie (2)
- 92% des français interrogés souhaitent le retour en France des activités industrielles (8)
Des canaux d’achat simples et safe
Les français ayant expérimenté le mode Drive pendant le confinement souhaitent à 76% poursuivre son usage après la crise (9). Les données de dépenses par canal pour la première semaine de déconfinement confortent cette suprématie du drive dans les achats, encore suivi par les livraisons à domicile et magasins de proximité. Hypermarchés et Supermarchés n’ont pas (encore) retrouvé leurs précédents niveaux de fréquentation, inférieurs à la même période 2019.
Tout cela en composant avec le facteur Prix !
Le prix reste le premier critère de choix. 82% des foyers français surveillent attentivement leurs dépenses depuis le début du confinement (6). Toute la complexité se joue donc ici, dans la généralisation et l’inscription dans la durée des tendances d’achats « Sain et local »… Privilégier la qualité et la proximité, oui, les Français le souhaitent. Mais avec un positionnement prix supérieur de 30% à celui des grands hypermarchés dans les magasins de proximité, les Français auront-ils les moyens de leurs aspirations ? Une partie de la population probablement. Vient alors l’hypothèse du renforcement d’une France à 2 vitesses, évoquée par Nielsen.
Et les visites magasins ?
Bien qu’ayant retrouvé leur liberté de mouvement, les Français restent inquiets. Qu’il s’agisse de préoccupations de santé, ou d’ordre économique : en mai, 71% des Français pensent qu’une deuxième vague d’épidémie conduira à un nouveau confinement, et 82% des Français ne se disent pas confiants sur la situation économique de la France (2). Les achats online se poursuivent donc assez logiquement, et le retour en magasins se fait doucement, le moins fréquemment possible… Là où 67% des Français faisaient leurs courses au moins une fois par semaine avant Covid-19, ils ne sont que 48% début mai (9).
Que ce soit pour la Grande Distribution ou pour les Retailer, l’enjeu de réassurance sur les conditions de sécurité en point de vente est donc capital pour faire revenir en magasin. La bonne intégration des technologies pour mixer digital et physique est aujourd’hui indispensable – drive évidemment, mais aussi réservation online et retrait magasin, visio avec les vendeurs du point de vente, etc… L’omnicanalité renforce son caractère proprement indispensable dans la relation avec les clients. D’autant que lorsque les consommateurs se rendent en point de vente aujourd’hui, ils sont confrontés de fait à une expérience dégradée : attente, distances, masques… Ne pas toucher, ne pas sentir, la visite magasins n’a pas la même saveur qu’avant-crise, et chacun voudra y passer le moins de temps possible. Cela notamment en préparant sa visite en amont, via le digital, pour un déplacement efficace.
L’attente de sécurité a par ailleurs poussé le paiement numérique ou sans contact : 31% des consommateurs utilisent désormais plus souvent le sans contact pour régler leurs achats en point de vente (11). Une opportunité également pour le paiement mobile, dont le frein était précédemment, aux yeux des consommateurs, la sécurité des données. Désormais, c’est la sécurité sanitaire le moteur pour la montée en puissance du paiement mobile !
A la lecture des différentes études qui ont étayé mon article, mon point de vue s’est précisé : non, nous ne vivons pas une révolution dans les comportements d’achats. Non, la crise sanitaire n’a pas changé le monde consumériste. Elle apparaît plutôt comme un booster d’évolution, un accélérateur de transformation, ouvrant à la généralisation de tendances déjà émergentes. Le consommateur de mi-2020 est ainsi plus souvent partisan d’une consommation réfléchie et respectant son pouvoir d’achat, son niveau d’exigences de sécurité et de qualité s’est encore accru, il a davantage conscience de son rôle vis-à-vis des producteurs locaux, et attend des marques et des enseignes la mise à disposition des services offerts par le digital.
Face à ces consommateurs plus nombreux à vouloir affirmer leurs valeurs par leurs achats, marques et distributeurs devront redoubler d’efforts pour légitimer leurs propositions et démontrer leur utilité à la société. Pour rebondir au plus vite, 3 challenges à relever : rassurer, inspirer, et inventer ! On en parle ?
Sources :
1 : McKinsey – French consumer sentiment during the coronavirus crisis
2 : Kantar – COVID-19 Monitor vague 4
3 : Webinar Stratégies – Hub Institute – EFAP
4 : ADN « Six chiffres qui décryptent l’impact du Covid sur la distribution » – données Kantar
5 : Strategir et Bilendi – Baromètre mensuel Horizon Conso
6 : Nielsen ScanTrack
7 : Mediametrie – FEVAD | Baromètre trimestriel de l’audience du e-commerce en France / Enquête « e-commerce et confinement »
8 : Ipsos – valp Enquête d’actualité 4 juin 2020
9 : Ipsos – Observatoire E.Leclerc des nouvelles consommations
10 : OpinionWay pour Max Havelaar
11 : Forrester
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