Interview de François Laurent, co-Président de l’Adetem
- Kiss The Bride
- 21 mai 2014
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Quels changements profonds ont marqué le marketing ces dernières années et vont encore le marquer les prochaines ?
Le marketing a clairement vécu une révolution. En fait, il en a connu deux : une première avec les chocs pétroliers qui ont amené avec eux un contexte quasi-permanent de crise, et plus récemment bien sûr, l’arrivée du web et des réseaux sociaux. Ces deux facteurs obligent le marketing à complètement se repenser. Il ne s’agit surtout pas de changer les recettes d’un modèle passé. On ne peut plus se référer à des « bibles » marketing écrites il y a peut-être 30 ou 40 ans. Puisque le consommateur a changé, que la société a changé, il faut tout simplement changer de modèle. D’ailleurs, ce n’est pas seulement le marketing qui est impacté, cela touche tous les services de l’entreprise, les RH par exemple.
Il est clair que l’on a vu ces dernières années une importante prise de conscience des professionnels. On trouvait il y a encore 10 ans des personnes pour dire qu’Internet était un épiphénomène mais aujourd’hui, plus personne ne le dirait.
Est-ce que ce nouveau modèle, c’est le modèle customer-centric ?
Ça, à mon avis, c’est uniquement un joli discours. Les entreprises disent que le client est au centre, mais dans la réalité, elles envoient des spams à longueur de journée espérant faire acheter n’importe quoi à n’importe qui. L’entreprise reste totalement autiste et incapable de répondre aux questions des consommateurs. Les directions marketing, et les directions générales aussi d’ailleurs, se sont retirées dans leurs tours de verre pour complètement oublier à quoi ressemblait un consommateur. En résumé, le marketing a complètement oublié sa dimension relationnelle.
L’autre réalité, c’est que le client n’est pas au centre, il est chez lui, à son travail, avec ses amis… et il se fiche du marketing et de l’entreprise, ce n’est pas son problème. Par contre, s’il a un problème de SAV ou une question sur un produit, il attend une réponse quasi-immédiate, qu’il contacte la marque via son fil Twitter ou via sa hotline. Et s’il n’obtient pas de retour rapidement, il va aller partager sa frustration avec ses amis sur son profil Facebook. Le consommateur a ainsi pris une nouvelle dimension puisqu’il peut exprimer au plus grands nombre son expérience avec les marques…
Comment les directions marketing doivent-elles s’organiser alors ?
Si j’étais provoquant, je pourrais dire que ces directions devraient disparaitre parce que toute l’entreprise devrait être orientée vers le consommateur. Malheureusement, les directions financières ont pris un large pouvoir dans l’entreprise, demandant des résultats sur le court terme, ce qui est contradictoire avec la construction d’une réelle stratégie clients. Face à elles, il faut donc des directions marketing extrêmement fortes et structurées pour représenter la réalité du consommateur.
Ensuite dans l’organisation même de cette direction marketing, je pense qu’il y a deux grandes fonctions que je peux résumer entre « ceux qui écoutent » et « ceux qui parlent ». La première, le consumer insight, apporte la connaissance du consommateur à travers les études de marchés, la veille sur les réseaux sociaux pour détecter les tendances… C’est vital de s’entourer des bonnes personnes pour faire cette veille avec le discernement nécessaire tant les nouveautés en matière marketing et technologiques sont nombreuses. Et ensuite, il y a les community managers, aux prises directes avec le public de l’entreprise. Ce poste devrait quasiment faire partie du comité exécutif de l’entreprise parce qu’ils doivent être capables de prendre la parole sur tous les sujets depuis le cours de l’action, la qualité des produits etc.
Quelles sont les qualités d’un bon marketer ?
Je pense que c’est être capable de défendre une vision. Si l’on suit les études au quotidien, ce n’est pas toujours facile de percevoir les tendances. Il faut avoir conscience que les choses peuvent avancer à une vitesse à la fois extrêmement rapide et extrêmement lente. En général, entre le moment où on lance un nouveau produit et le moment où il est largement adopté, il se passe plusieurs années. Il faut être capable pendant ces années de continuer de soutenir le projet et d’y croire. Par exemple, aux débuts de la téléphonie, peu de personnes y croyaient. Il faut avoir le courage de lire entre les lignes, avoir du flair et réussir à imposer une stratégie en démontrant qu’elle peut marcher. Être uniquement opportuniste mais sans avoir de vision, c’est prendre le risque de rater. Par contre, faire des coups en étant opportuniste, c’est repérer les leviers qui vont aider à atteindre un objectif, qui vont aider une stratégie, et là, ça peut être très malin !
Aujourd’hui, le ROI est devenu une vraie préoccupation…
Le ROI notamment sur les médias sociaux est un vieux débat, que j’aimerais un peu tempérer. Je ne pense pas que l’on puisse réellement calculer le retour sur investissement d’une stratégie globale. Il y a tellement de paramètres dont dépend le ROI, dont dépend l’évolution d’une société, que finalement lorsque l’on modélise tout, il ne reste plus grand-chose.
Par ailleurs, je trouve que ce sujet du ROI est une conséquence du contexte de récession. Il ne faut pourtant jamais oublier de remettre le marketing dans une vision très long terme, car c’est petit à petit que se construit une véritable stratégie marketing. D’ailleurs, il ne faut pas oublier qu’en contexte de crise, il y a deux types d’annonceurs : ceux qui freinent, voire stoppent les investissements, et ceux qui continuer à parier sur leur marketing. L’expérience a démontré clairement que ce sont toujours les seconds qui survivent, même si effectivement les premiers réalisent quelques courtes économies au départ.
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