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Rencontres

[Interview] Rencontre avec Pierre Volle, Professeur de marketing à l’Université Paris-Dauphine

Les stratégies marketing évoluent-elles beaucoup sous l’effet des technologies ?
Une question essentielle se pose en ce moment : en marketing, la stratégie vient-elle avant les outils ? Cela peut paraître évident mais pourtant, encore beaucoup d’entreprises sont focalisées sur les technologies et en viennent à oublier un certain nombre de questions préalables à tout déploiement. Nous nous sommes laissés déborder par les outils et il est temps de retrouver une vision plus stratégique du client notamment pour mieux combiner les dispositifs et rationaliser les investissements… puisque de toute façon, on le sait, les technologies vont continuer à déferler. Progressivement, on en vient à réfléchir à de véritables stratégies clients, et c’est probablement un gage de performance que de formaliser ainsi un cap clair et lisible, tant pour l’interne que pour le client lui-même. Cela peut déjà renvoyer à quelques questions très basiques mais essentielles comme : quelles sont vos cibles relationnelles, qui sont différentes des cible commerciales ou des cibles marketing ? Quel genre d’expérience vous voulez faire vivre à vos clients ? Qu’est-ce que vous voulez savoir de vos clients ?En résumé, vous voulez dire qu’il faut redonner du fond au marketing ?
Actuellement, on sent bien qu’il y a une forte prise de conscience des managers qui se disent que l’innovation technologique est un flot continuel. Les dix années passées ont été un amoncellement de nouveaux outils et la question qui est posée maintenant, c’est quel sens on doit donner à tout ça. On a eu tendance à laisser les outils surplomber la stratégie, à structurer la démarche et donc à perdre de vue les basiques. C’est comme prendre le problème dans le mauvais sens, la porte d’entrée ne doit pas être l’outil qui créé une stratégie mais l’inverse. L’outil ne doit venir qu’au service d’une stratégie. On peut se demander comment l’on va combiner tous ces outils, ces programmes, ces dispositifs… L’idée, c’est qu’entre la stratégie marketing et les outils, il y a sûrement un chaînon manquant qui est la stratégie clients.Où se situe la notion d’expérience client ?
La notion d’expérience client, prolongée plus récemment par celle de parcours client, est une notion essentielle pour piloter la qualité de service. Ce sont des notions assez nouvelles qui ne sont pas encore complètement intégrées dans les entreprises et qui nécessitent encore des développements méthodologiques si l’on prétend véritablement gérer l’expérience client. Sans aller sur ces notions relativement nouvelles comme celle d’expérience client (qui a tout de même une dizaine d’année), on peut aussi repenser des notions classiques, telles que le positionnement et les bénéfices, au service du client. Par exemple, quels sont les bénéfices que j’offre à mon client quand il entretient une relation avec moi ? Ce que l’on voit émerger depuis 10 ans, ce que j’appelle des bénéfices relationnels. Les bénéfices sont attachés aux produits, aux services mais aussi à la relation ! Réussir à combiner ces niveaux de bénéfices constitue un défi. Dans chaque niveau, il faut réfléchir à quels genres de bénéfices on veut offrir. Le positionnement et le bénéfice, c’est un basique du marketing et il ne s’agit pas de revenir à ce que l’on faisait il y a 20 ans lorsque les entreprises étaient exclusivement centrées sur le produit, mais d’enrichir cette notion de bénéfice par la relation que l’on va créer avec l’entreprise.Quels rapport entre les clients et les marques ?
L’identité de marque reste au cœur de la stratégie marketing. La question, c’est de déterminer quels éléments de l’identité de marque ont une nature relationnelle ?  Si je veux entrer en relation, je dois reconnaitre que je ne suis pas seulement un être qui parle, je suis aussi un être qui a une identité qui va se comporter d’une certaine façon. Ça veut dire que l’identité de marque, doit non seulement comporter des traits de personnalité, des éléments de discours, mais aussi des éléments d’action. On reprend donc la même notion classique d’identité, mais on l’enrichit avec la dimension relationnelle.
On va certainement voir apparaître des chartes relationnelles qui doivent aller beaucoup plus loin que la seule formalisation d’un discours de marque. Je pense que l’on a besoin d’un outil qui fasse converger la marque et le client : est-ce que c’est une plateforme de marque classique qui va répondre à cet enjeu essentiel ? Je ne le pense pas. Est-ce une plateforme relationnelle qui va englober la stratégie de marque ? Je ne sais pas dans quel sens tout cela va converger mais je pense que l’on ne peut plus se contenter des plateformes de marque classiques, essentiellement à visée communicationnelle, pour bâtir une stratégie client.

Concrètement, comment on va mettre ça en œuvre dans l’entreprise ?
La question de l’organisation des entreprises, et notamment la disparition des silos, n’a rien d’accessoire. C’est même le principal problème auquel sont confrontées les directions marketing à l’heure du digital ! L’achat n’est plus un point final mais seulement un début dans la relation, donc cela a complètement allongé le temps pendant lequel on doit s’occuper du client. Les directions marketing sont confrontées à une complexité « systémique » nouvelle puisqu’il y a de plus en plus d’éléments à piloter (canaux, offres, intermédiaires…) et de plus en plus d’interactions entre ces éléments. Cela laisse parfois les marketers assez désemparés… Leur rôle s’est élargi et le fonctionnement en silos fonctionnels soulève des difficultés. Pour moi, le plus gros enjeu du marketing aujourd’hui est fondamentalement organisationnel.
Finalement qui va prendre le lead sur les clients ? Est-ce qu’une nouvelle fonction va émerger, comme le Chief Customer Officer ? Est-ce que les Directeurs de la Relation Client ont la capacité et la volonté d’articuler le commercial, le marketing, la communication et la relation client ? On peut aussi imaginer que ce rôle reviendra aux marketeurs s’ils comprennent qu’il faut vraiment aller vers le client et non pas seulement vendre des produits. Il me semble qu’il y a là une formidable opportunité pour le marketing d’occuper cet espace qui n’existe pas vraiment sur un plan organisationnel, mais qui est incontournable sur un plan stratégique.
Le marketing, en théorie, a pour mission la satisfaction des clients et la création de nouveaux marchés, notamment à travers l’innovation. Ce sont des ambitions très fortes et si l’on veut y arriver, cela suppose que l’on ne se concentre pas sur la gestion des outils un par un : le programme de fidélisation par ici, le community management par là, etc. Le marketing, au sens plein du terme, est une fonction qui peut apporter beaucoup aux entreprises si elle se donne pour mission de valoriser le portfeuille de clients, en s’appuyant sur des technologies de plus en plus puissantes.

Comment bien appréhender ces changements ?
Si les Directeurs Marketing souhaitent tenir un rôle plus stratégique dans l’entreprise, il y a deux conditions nécessaires. Un changement complet de posture, d’abord. Désormais, sans renier son expérience, il faut accepter de remettre constamment en question ses acquis. On doit en permanence essayer, tester, lancer des pilotes et des expérimentations … En fait, il faut passer de l’expérience acquise à l’apprentissage permanent. Ce n’est pas juste un état d’esprit, il y a vraiment des méthodes pour mener des business expériences et les mener de façon rigoureuse et scientifique.
Le développement des compétences technologiques, ensuite. Il faut pouvoir comprendre le digital et ses enjeux et, plus largement, tout ce qui touche aux systèmes d’information. Sans devenir eux-mêmes des experts, puisque c’est un autre métier, les marketers doivent par exemple être capables de mener des projets complexes avec des data scientists.

Comment rassurer et convaincre les directions ?
Pour occuper cette place stratégique dans l’entreprise, les marketers vont devoir faire preuve de conviction et de persévérance, notamment pour répondre aux contraintes de ROI à court terme. Le problème n’est pas de devoir dégager un rendement, ça c’est normal. Le problème c’est l’horizon temporel. Beaucoup de projets pourraient dégager un rendement mais ne sont pas mis en œuvre parce que ce rendement arrive à trop long terme.
Là où il y a 10 ou 15 ans, les seuls indicateurs étaient le chiffre d’affaires, la part de marché et l’image, on se retrouve aujourd’hui avec une vingtaine de métriques parmi lesquels la satisfaction, la recommandation, l’engagement etc. Arriver à hiérarchiser, à prioriser et à articuler ces objectifs les uns avec les autres est vraiment un challenge. Le temps est venu de prioriser ces indicateurs mais aussi de les structurer pour les relier les uns aux autres. Il sera temps ensuite, de penser aux leviers puis aux outils. Ne renversons pas la logique sous prétexte que la technologie fascine ! Sans pour autant abandonner les notions de bénéfice produit ou d’identité de marque, mettons la stratégie clients au centre de la réflexion.

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