Interview de Christophe Cadic, directeur du développement et de la digitalisation de Darty
- Dounia Issaa
- 17 septembre 2014
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Pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre rôle chez Darty en tant que Directeur du Développement et de la Digitalisation ?
En fait, j’interviens à l’intersection de deux axes de développement complémentaires : le site e-commerce darty.com (incluant les dispositifs mobiles) et la digitalisation des points de vente physiques. Le croisement de ces deux axes répond aux nouveaux usages et aux parcours actuels des consommateurs. Face à un client surinformé et connecté, nous devons proposer une stratégie omnicanal adaptée.
Il est facile d’observer que le parcours client n’est plus seulement sur le web, sur le mobile ou en magasin, mais qu’il constitue l’enchaînement de différentes actions réalisées séquentiellement sur plusieurs canaux. Aujourd’hui, beaucoup de consommateurs en magasin se sont au préalable rendus sur le site pour prendre des renseignements. Le site prépare donc la visite en magasin. On peut même commander sur le site et venir retirer le produit en magasin, c’est ce qu’on appelle le clic & collect. Il n’existe donc pas de concurrence entre ces canaux, mais au contraire de vraies synergies où chaque canal joue un rôle complémentaire pour qu’au final, le client soit servi de façon optimale par l’enseigne.
Le client n’interagit pas avec un canal mais avec une enseigne. Lorsque l’on regarde aujourd’hui l’ensemble des points de contact offerts par le digital, nous réalisons que notre responsabilité est, d’une part, de les identifier, mais d’autre part de simplifier la complexité qu’ils font apparaître, de façon à ce que le parcours d’achat soit le plus simple et transparent possible. Qu’il soit sur son mobile, sur son PC ou face à un vendeur équipé d’une tablette, le client s’attend à ce qu’on lui délivre le message le plus pertinent, sur le canal le plus approprié et au moment le plus opportun.
D’un point de vue organisationnel, je travaille avec une équipe de chefs de projets et collabore avec les différents métiers de l’entreprise comme le marketing, la communication, le commerce, le SAV … Nous définissons ensemble les fonctionnalités stratégiques à développer, puis nous les mettons ensuite en œuvre d’un point de vue opérationnel.
Darty a lancé son premier magasin digital à Beaugrenelle et plus récemment à Montluçon. Comment se positionne le magasin digital par rapport à un point de vente classique et au site e-commerce ?
Tout d’abord, le magasin digital apporte une dimension théâtrale au parcours d’achat. Il donne un accès en temps réel à l’information (prix, disponibilité, caractéristiques des produits, …). via les bornes, les écrans et les tablettes des vendeurs. La présence du wifi permet aux visiteurs de rester connectés en permanence dans tous les rayons et d’utiliser leur smartphone. Le magasin digital possède toute l’information de darty.com, mais également en résout le principal problème, c’est-à-dire l’absence de contact physique avec le produit et de gratification immédiate après l’achat.
En fait, le magasin digital ou magasin connecté apporte le meilleur des deux mondes entre le magasin physique (contact avec le produit, gratification immédiate, contact humain) et le magasin en ligne (richesse d’informations, accès aux produits non disponibles en stock).
A quels défis répond finalement cette digitalisation du point de vente ?
Pour définir les enjeux et les défis, nous sommes partis de l’observation de l’acte d’achat et du parcours client. Lorsque l’on analyse les trois étapes du parcours – avant, pendant et après l’achat – et que l’on étudie sur chacune de ces étapes les points de contact existants, on se rend compte qu’il existe une très grande combinatoire d’interactions entre le client et l’enseigne (via smartphone, via tablette, via ordinateur, à domicile, dans les transports, au travail, en magasin, en réservation, en achat, en consultation, en comparaison …).
Un premier enjeu est justement de parvenir à simplifier cette complexité pour fluidifier le parcours d’achat. Cela va consister à comprendre les usages et les attentes des consommateurs, pour ensuite créer les dispositifs qui simplifieront au maximum son parcours (messages clairs, même charte graphique entre le magasin et le site, utilisation de concepts universels tel que les QR code, etc.).
Un autre enjeu repose sur l’expérience en point de vente. Il s’agit de réenchanter l’expérience client en fournissant des services pratiques et différenciants, qui contribuent à fluidifier et à enrichir le parcours (consultation de la disponibilité, consultation des prix et des promos, accès à des comparateurs…).
Un autre point important est la personnalisation de la relation. En effet, de par la connaissance de l’historique d’achat d’un client, le vendeur est à même de proposer de meilleurs conseils et des suggestions produits plus adaptées. Le rôle de la digitalisation est aussi de donner au vendeur les informations pertinentes qui lui permettront de répondre de façon personnalisée à chacun de ses clients. Mais attention, la digitalisation ne remplace pas le vendeur par des algorithmes, bien au contraire, elle le renforce en lui apportant un nouvel outillage qui en fait un super vendeur ayant accès en temps réel à toute l’information dont il a besoin. Aujourd’hui, les clients sont de plus en plus avertis et connaissent parfaitement les produits qu’ils recherchent. Un client qui se rend en magasin a au préalable consulté darty.com ainsi que les sites concurrents, il a comparé les produits, les prix etc. Si le vendeur n’a pas le même niveau de répondant, il perd en légitimité et ne délivre pas le conseil attendu.
Les technologies digitales permettent donc de donner de la puissance au discours commercial et de la pertinence aux offres proposées. En accédant à l’historique d’achat d’un client, le vendeur sait s’il vaut mieux lui proposer la marque A ou la marque B en fonction de ses affinités. Si le client a eu une discussion avec le centre d’appel au sujet de la réparation d’un produit, il est également pertinent d’avoir accès à cette information car elle peut ressurgir durant la discussion. Plus le digital apporte d’informations au vendeur, plus le vendeur personnalise la relation, et plus le client est satisfait. Un client satisfait est un client fidèle et le cercle vertueux est en marche. Mais attention à la surinformation. Le rôle de la digitalisation est également de filtrer et de n’offrir que les informations à valeur ajoutée, c’est-à-dire donner l’accès à l’essentiel de façon synthétique.
On en revient finalement aux valeurs traditionnelles du commerce de proximité où on retrouve ce contact personnalisé, humain qui réconforte et rassure le client. Le digital doit contribuer à ramener ce niveau de personnalisation dans la relation. C’est une transformation majeure qui implique en amont un enjeu de formation des équipes.
Justement, quels enjeux impliquent un tel projet ?
Le premier élément concerne le travail sur la couverture réseau du magasin – réseau filaire pour les écrans et wifi pour les tablettes vendeurs ainsi que pour les clients – mais aussi la structuration du système d’information qui doit être en mesure de délivrer tout type d’information sur les produits et les clients à n’importe quel device connecté. La sécurité est également au centre des préoccupations. L’ensemble des flux doit être sécurisé et les wifi publics et privés doivent respecter des normes de cohabitation.
Le big data aussi a une place centrale dans ce processus digital car tous les échanges entre les vendeurs, les clients, le site, les tablettes, les écrans… génèrent de la donnée dont le potentiel d’enseignement est gigantesque. Ce potentiel peut être utilisé pour optimiser le merchandising, pour valoriser l’offre, etc. Nous devons donc pouvoir stocker, gérer, et analyser ces informations pour affiner la compréhension des attentes clients et proposer des offres plus pertinentes. L’enjeu va donc consister à centraliser et faire converger, en temps réel, toutes les données émanant de différents canaux pour avoir une vision unique et précise du client et des produits mais tout ceci bien-sûr dans le respect des normes et recommandations de la CNIL. Même si aujourd’hui tout le monde parle du big data, l’important est de savoir ce qu’on veut en faire ! C’est pour nous un sujet très stratégique. D’autant plus qu’avec la profusion des technologies numériques, la data va représenter un capital à valeur ajoutée croissante.
Au-delà de l’architecture et de l’infrastructure digitales, il est aussi fondamental de mener une politique de conduite du changement. En effet, si les vendeurs ne s’approprient pas le dispositif, alors celui-ci perd de son intérêt. La transformation digitale induit donc tout un apprentissage auprès des vendeurs, et c’est au management qu’incombe la responsabilité d’assurer cet apprentissage. La conduite du changement permet au vendeur de réaliser que les dispositifs digitaux lui donnent des armes pour la vente. Durant cette conduite du changement, les vendeurs se forment aux outils, ils apprennent à lire et à exploiter les informations restituées par leur tablette. Il est donc important de communiquer en permanence auprès des vendeurs, de valoriser la stratégie et d’être à leur écoute pour adapter les outils à leurs besoins.
Il faut aussi reconnaître la part expérimentale du chantier. En effet, aujourd’hui personne n’a beaucoup de recul par rapport à la digitalisation car les technologies utilisées sont relativement récentes (wifi en magasin, big data, iBeacon, …). Les usages sont aussi récents et donc évoluent tous les trimestres. Tout cela nous impose l’utilisation d’un mode « test and learn ». L’expérimentation est primordiale ! Il faut tester les concepts, constater les résultats, et orienter en permanence sa stratégie.
Mais il faut bien garder à l’esprit que la digitalisation du point de vente est au service des consommateurs. Tous les services de l’enseignes sont concernés (marketing, sav…). L’un des défis les plus importants repose sur la mise en place d’une synergie entre ces services, chacun étant lui-même omnicanal. La suppression des silos est donc primordiale et la vision unique du client un point clé.
Quelles sont les premières retombées de cette digitalisation ?
J’en perçois deux : l’émerveillement et la satisfaction du client quand il se retrouve face aux écrans, ou face aux vendeurs équipés de tablettes délivrant un message précis et complet, et l’efficacité du vendeur qui reste connecté à de nombreuses sources d’information et qui n’est plus obligé de faire des allers-retours entre les rayons et les postes de travail. En accédant, où qu’il soit et en temps réel, aux informations client et aux informations produit, le vendeur gagne en réactivité et en efficacité commerciale.
Et quelles sont les futures étapes de développement prévues ?
Nous voulons aller le plus loin possible dans la personnalisation de la relation client-enseigne. Chaque client est différent et il aspire à un traitement qui lui est propre. Mais notre priorité immédiate consiste à digitaliser tous les magasins de l’enseigne afin d’éviter les écarts d’expérience entre les différents points de vente.
L’expérimentation et la R&D sont également des points clés pour les futures étapes de la digitalisation. Il est possible d’aller très loin en combinant le potentiel des nouvelles technologies (iBeacons, Google Glass, objets connectés, mobilité, …). Il faut donc essayer, prototyper et retenir ce qui marche, ce qui donne du sens, et ce qui rend les clients heureux.
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