[Interview] Rencontre avec Christian Barbaray, PDG d’INIT MARKETING
- Kiss The Bride
- 27 juin 2014
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Vous évoquez souvent la notion de Capital Clients, pouvez-nous nous expliquer en quoi cela consiste ?
Quand on évoque la relation client, je trouve intéressant de dépasser la seule satisfaction pour évoquer plus largement le capital Clients. Je trouve cette notion très forte puisque c’est bien le capital Clients qui nourrit les autres actifs de l’entreprise. Une entreprise peut changer d’actionnaires, il peut y avoir du turnover dans les équipes mais ce qui ne change pas, ce sont les clients.
Cette relation client est un sujet complexe et riche. J’ai pour habitude de dire que tous les clients fidèles sont des clients satisfaits, mais que tous les clients satisfaits ne sont pas fidèles. La fidélité économique, contrairement à la fidélité amoureuse, n’est pas exclusive et l’enjeu n’est pas de devenir le seul fournisseur, mais d’être le préféré du client.
La fidélisation est-elle un sujet d’avenir ?
Oui complètement ! Il y a des marchés assez en avance sur le sujet, je pense par exemple aux secteurs des services. Par contre, d’autres acteurs comme il en existe dans la grande consommation y viennent seulement maintenant dans une démarche sérieuse. Ces enseignes ont bien sûr adopté des cartes de fidélité, mais je préfère les appeler des cartes de promotion puisque c’est plus proche de la réalité.
Ce qui a changé ces dernières années, c’est que le web a rendu la parole à des consommateurs réellement visibles. Même s’il s’agit de faits anodins comme un mauvais accueil dans le magasin, une livraison retardée… le moindre faux pas peut faire l’objet d’un mécontentement exprimé haut et fort. Prenant ainsi conscience de ce nouveau pouvoir, les consommateurs sont aussi en train de réaliser quelle est la réelle valeur qu’ils représentent pour les enseignes. Un chercheur a récemment calculé qu’une vie entière à faire ses courses toutes les semaines dans une grande surface avait une plus grande valeur transactionnelle qu’un client qui se rendrait une fois dans sa vie dans une concession Mercedes ! Pourtant, le traitement du client est loin d’être le même.
Le modèle de la carte de fidélité classique est dépassé. Même leur extension sur mobile est déjà périmée. Ces cartes se sont tellement banalisées qu’elles ne sont plus différenciantes. Ce qui importe désormais, c’est d’injecter une dose de relationnel dans ce qui n’a été jusqu’à maintenant qu’une relation transactionnelle.
Le vrai apport des nouveaux programmes de fidélité sera qu’ils permettent de traiter chaque client de manière individualisée quand il est sur le point de vente, suivant qu’il soit un client bronze, silver ou gold. On pourrait imaginer que lorsque j’arrive chez Leroy Merlin, je sois reconnu comme un client Argent, voire mieux si l’on prend une entrée thématique, je pourrais être accueilli comme « jardinier expert ». A ce titre, le vendeur aurait des attentions pour moi qu’il n’aurait pas avec d’autres clients non fidélisés, et il pourrait aussi adopter un discours en phase avec mon niveau en matière de jardinage. Si en plus je sais quels services supplémentaires sont réservés à la catégorie supérieure, je vais naturellement avoir envie d’y accéder. C’est du marketing qui joue sur l’égo mais c’est très efficace !
Ce qui importe, c’est de considérer chaque client pour ce qu’il est, le traiter individuellement alors ?
Oui, comme on le vit lorsque l’on va chez son boulanger et qu’il a un petit mot pour vous, votre santé, vos enfants. Ce sont les petites attentions qui créent le plaisir dans la relation client. Regardez par exemple, le plaisir que l’on a tous à aller au marché l’été alors que l’on vit comme une véritable corvée d’aller pousser son caddy dans une grande surface tellement la relation avec les grandes enseignes s’est déshumanisée.
Ce qui compte désormais, c’est de retrouver de la reconnaissance client, de reconnaitre chacun pour ce qu’il est. C’est encore plus vrai qu’avec les réseaux sociaux, nous nous sommes habitués à être pris en considération, parfois même à être flattés. Nous en gagnons une reconnaissance sociale, et parfois professionnelle, que l’on obtient d’inconnus alors que nous aimerions retrouver cette même attention des marques dont nous sommes fidèles. Cela signifie qu’il est important, avant tout chose, de segmenter les clients pour pouvoir identifier lesquels seront les plus rentables et les plus durables pour l’entreprise. Cela peut aussi amener à décider de ne pas fidéliser tous les clients pour se concentrer sur les prioritaires. Il faudra veiller, dans cette approche data, à conjuguer la dimension émotionnelle à la dimension mathématique et transactionnelle.
En fait, ce qui importe ce n’est plus le produit ou le service que l’on achète, mais l’expérience vécue ?
Tout à fait, ce qui importe, c’est l’expérience client et cela amène les entreprises à même revoir complètement la manière dont elles fonctionnent. Auparavant, le client était travaillé de manière très séquencée : la communication, le merchandising, les études, le service qualité… chacun intervenait sur son pan de la relation sans réellement se soucier de ce qui se passait dans les autres services.
Les entreprises aspirent maintenant à une vision beaucoup plus globale. Leroy Merlin a ainsi récemment créé un service dédié qui tente de comprendre ce qui motive le client, avant même sa venue en magasin ou sur le site. L’analyse démarre dès la naissance du besoin, puis passe à l’idée d’acheter et à la phase de recherche suivie de la phase de choix final et d’achat. C’est là les nouvelles questions que doivent se poser les annonceurs : qu’est-ce qui va enrichir ou au contraire appauvrir l’expérience client ? Ce qui est pertinent dans cette approche, c’est que l’on réfléchit du point de vue du consommateur pour que la relation commence mais ne se termine jamais.
Cette logique de chaîne de parcours est encore assez neuve, elle est dans la tendance customer-centric. Une tendance assez logique puisque l’on a changé de cycle économique, passant d’un marché où le produit était rare à un marché où le client est rare.
Et comment inculquer cette vision dans toute l’entreprise ?
Justement en faisant tomber les silos, et aussi en ayant une vision long terme qui ne se limite pas seulement à des objectifs purement financiers. Le client peut aussi être un fort élément de motivation interne. Si je vous dis qu’il faut faire 10% de plus parce que c’est la directive de l’actionnaire, je ne suis pas sûr que vous m’écoutiez. Si en revanche, je vous montre une étude sur les attentes des clients, c’est concret et indiscutable et cela vous donnera certainement envie d’aller dans le sens du client.
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